Les "30 Glorieuses" présentées par un historien britannique
Un commentaire de texte à faire pour réviser :
Les "30 Glorieuses" présentées par un historien britannique :
Eric J. Hobsbawm, L’âge des Extrêmes. Histoire du Court XXe siècle, Editions Complexe, 1999.
Chapitre 9. Pages 341-344
“ La plupart des êtres humains fonctionnent comme des historiens : ils ne reconnaissent la nature de leur expérience qu'après-coup. Au cours des années 1950, surtout dans les pays “ développés ”
toujours plus prospères, beaucoup prirent conscience que les temps s'étaient sensiblement améliorés, surtout quand leurs souvenirs remontaient à l'avant-guerre. En 1959, un premier ministre
britannique conservateur mena campagne et gagna les élections avec le slogan : “ Ça n'est jamais allé aussi bien ! ” Sans doute était-ce exact. Mais ce n'est qu'une fois le grand boom terminé,
dans le trouble des années 1970, en attendant le traumatisme de la décennie 1980, que des observateurs - essentiellement, dans un premier temps, des économistes - commencèrent à se rendre compte
que le monde, en particulier le monde capitaliste développé, avait parcouru une phase tout à fait exceptionnelle, voire unique, de son histoire. Ils s'employèrent à lui trouver un nom - les “
trente glorieuses ” des Français, ou “ l'Age d'or ” d'un quart de siècle des Anglo-Américains […]. L’or devait briller d'un éclat plus vif sur la toile de fond terne ou sombre des Décennies de
crise ultérieures.
Que l'on ait mis si longtemps à reconnaître la nature exceptionnelle de l'époque s'explique par plusieurs raisons. Pour les États-Unis qui dominèrent l'économie de la planète après la guerre,
cela n'avait rien de révolutionnaire. Cette période ne fit que prolonger l'expansion des années de guerre, particulièrement propices à ce pays. L’Amérique n'avait souffert aucun dommage, son PNB
avait augmenté des deux tiers […], et à la fin du conflit le pays assurait près des deux tiers de la production industrielle mondiale. De surcroît, précisément du fait de la taille et de l'avance
de l'économie américaine, ses performances au cours de l'Âge d'or ne furent pas aussi remarquables que le taux de croissance des autres pays, partis de bases beaucoup plus modestes. Entre 1950 et
1973, sa croissance fut plus lente que celle de tous les autres États industriels, à l'exception, peut-être, de la Grande-Bretagne. Plus encore, sa croissance ne fut pas supérieure à celle des
périodes antérieures les plus dynamiques de son développement. Dans tous les autres pays industriels, y compris dans la léthargique Grande-Bretagne, l'Âge d'or pulvérisa tous les précédents
records […]. Pour les États-Unis, en revanche, ce fut, d'un point de vue économique et technologique, une période de relatif recul. L’écart de productivité horaire entre l'Amérique et les autres
pays se réduisit, et si, en 1950, sa richesse nationale (PIB) par tête était deux fois celle de la France et de l'Allemagne, plus de cinq fois celle du Japon, et de moitié supérieure à celle de
la Grande-Bretagne, les autres États s'empressèrent de rattraper leur retard et continuèrent à le faire dans les années 1970 et 1980.
Pour les pays européens et le Japon, la priorité absolue était en 1945 de se remettre de la guerre : dans les premières années, ils devaient simplement mesurer leur succès par le chemin
parcouru en fonction d'un but fixé par référence au passé, non à l'avenir. Dans les États non communistes, cette reconstruction était aussi une manière de conjurer la peur de la révolution
sociale et d'une progression communiste, héritage de la guerre et de la résistance. Tandis que la plupart des pays (autres que l'Allemagne et le Japon) retrouvèrent en 1950 leurs niveaux d'avant
la guerre, le début de la guerre froide et la persistance en France et en Italie de puissants partis communistes n'encourageaient guère l'euphorie. En tout état de cause, les bénéfices matériels
de la croissance mirent quelque temps à se manifester. En Grande-Bretagne, ils ne devinrent tangibles qu'au milieu des années 1950 […]. Même dans une région de prospérité spectaculaire comme
l'Émilie-Romagne, en Italie, les bienfaits de la “ société d'abondance ” ne commencèrent à se généraliser que dans les années 1960 […]. De surcroît, l'arme secrète d'une société d'abondance
populaire, à savoir le plein-emploi, ne se généralisa que dans les années 1960, avec un taux de chômage moyen de 1,5 % en Europe occidentale. Dans les années 1950, l'Italie comptait encore près
de 8 % de sans-emploi. Bref, ce n'est que dans les années 1960 que l'Europe commença à tenir pour acquise son extraordinaire prospérité. À cette date, de fins observateurs commencèrent à imaginer
que, d'une manière ou d'une autre, tout, dans l'économie, continuerait perpétuellement à aller de l'avant. “ Il n'y a aucune raison particulière de douter que les tendances de fond de la
croissance au début et au milieu des années 1970 ne resteront pas largement ce qu'elles étaient dans les années 1960 ”, pouvait-on lire en 1972 dans un rapport des Nations unies. “ On ne peut
prévoir aucune influence particulière qui changerait du tout au tout l'environnement extérieur des économies européennes. ” Au fil des années 1960, le cercle des économies industrielles
capitalistes avancées, l'OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques), ne cessa de réviser à la hausse ses prévisions de croissance. Au début des années 1970, elle était
censée dépasser - “ à moyen terme ” - les 5 […]. Il n'en fut rien.
Il est aujourd'hui clair que cet Âge d'or fut essentiellement celui des pays capitalistes développés, qui, au fil de ces décennies, assurèrent près des trois-quarts de la production mondiale et
plus de 80 % des exportations de produits manufacturés (OCDE, Impact, 1979, p. 18-19). Une autre raison explique que l'on ait tardé à reconnaître la spécificité de cette époque : dans les années
1950, la poussée économique semblait tout à fait mondiale et indépendante des régimes en place. Dans un premier temps, il sembla même que le camp socialiste, récemment élargi, eût l'avantage.
Dans les années 1950, l'URSS enregistra en effet un taux de croissance supérieur à ceux de tous les pays occidentaux, et la croissance était presque aussi rapide en Europe de l'Est : plus rapide
dans les pays jusque-là en retard, plus lente dans les pays déjà ou partiellement industrialisés. L'AIlemagne de l'Est communiste accusait cependant un retard sur l'Allemagne fédérale non
communiste. Alors même que le bloc est-européen commença à s'essouffler dans les années 1960, son PIB par tête au cours de l'Âge d'or augmenta tout de même un peu plus vite (ou, dans le cas de
l'URSS, juste un peu moins) que dans les grands pays industriels […]. Dans les années 1960, il apparut malgré tout clairement que c'était le capitalisme, non plus le socialisme, qui menait la
course. ”
QUESTIONS :
1) Comment l’auteur nomme-t-il les années 1945-73 ?
2) Quelle est la puissance économique qui domine la période ? Ces années sont-elles, pour cette dernière, des années de forte prospérité ? Expliquez.
3) Les pays capitalistes ont-ils été les seuls à être concernés par cette croissance économique ? Expliquez !
4) Quelles sont les caractéristiques de ces sociétés en plein boom économique ?
5) Pourquoi n’a-t-on pas perçu, durant ces années, la formidable croissance économique ?
En route vers le chapitre suivant : 6) Définissez la “ guerre froide ” et présentez les objectifs de la
reconstruction.
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